LA COUETTE
"Jac sait tout faire !... Sauf cuisiner
!". Telle est la présentation que faisait de moi Hannelore,
qui fut ma compagne pendant quinze ans.
Pourquoi disait-elle cela ? D'abord parce qu'avoir pour team quelqu'un
qui sait "tout faire", ce doit être très pesant.
Il faut bien trouver une faille. Ensuite, parce ce que j'ai brûlé
deux fois la bouffe en quinze ans. Ça arrive quand on est pris
par son activité, surtout par passion. Depuis, de bons repas lui
ont prouvé qu'elle avait tort. Tout modestement, je sais et j'aime
cuisiner.
Hélas non, je ne sais pas tout faire, bien loin de là, sinon
je pourrais me dissoudre de suite.
Mais il y a une chose, facile pour certains, où je merdoie lamentablement.
C'est mettre une couette en housse, ou en fourre, comme disent les genevois.
N'importe comment que je m'y prenne, il me faut au moins vingt minutes
de bataille contre les textiles pour enfin arriver, mal, à mes
fins. J'ai essayé toutes les techniques préconisées,
maintes fois, et j'échoue invariablement. J'aurais sans doute besoin
d'un "coach", même si je maudis ce vocable et tout ce
qu'il laisse planer de malsain.
C'est comme de plier un T-shirt, ça je n'y arrive pas trop mal,
mais ma technique me laisserait bon dernier dans un concours.
Lorsqu'on voit une experte chinoise dont c'est le sale boulot à
longueur de journées, à longueur d'années, à
longueur de vie dans une usine esclavagiste où elle n'a pas le
choix que d'être ultra-rapide pour conserver son maigre salaire,
plier un maillot de corps comme on disait antan, en moins de deux secondes,
par une technique behaviorisée parfaite, on se sent un peu dévalorisé.
Pour en revenir à la couette, dont
c'est tout de même notre sujet, j'en suis arrivé à
la détester. Non seulement l'enveloppage me vrille, mais également
la pratique nocturne me déprime et m'agace.
J'en arrive à regretter les draps-couvertures de mon enfance, où
j'adorais me glisser dessous, bien serré, ne pouvant plus faire
un geste. A présent, je me bats, bougeant beaucoup pendant mon
sommeil, ça me réveille, et je me trouve enchevêtré
dans une couette d'araignée. Ni la procédure d'enfourrer,
ni mon problème, moteur assoupi, ne me portent à valoriser
la couette.
De plus, rien ne m'exaspère davantage que ce navrant néologisme médiatique et maniaco-sexuel "on va sous la couette", "et sous la couette, comment ça se passe ?", etc, je vous fais grâce des nombreuses variantes. Ça voudrait de plus démontrer que tout couple au moins normalement constitué n'utilise plus que la couette comme rempart contre la froidure de la nuit ou contre le monde extérieur qui guetterait avide leurs ébats polissons. Là encore, l'euphémisme "polisson" rejoint la bêtise ambiante de la "couette". Qui a déjà évoqué la "couette polissonne" a gagné le grand prix de la médiocrité générale et actuelle. Qu'elle ou il vienne retirer son prix qui est un poste de direction d'une future chaîne télé prometteuse.
Bon, il y a des arguments en faveur de la couette. C'est vrai qu'une fois fourrée, elle est plus rapide à couvrir le matelas que les draps-couvertures. Ensuite pour quelqu'un comme moi qui a ce problème particulier d'avoir la pénible tâche d'enfourrer seul sa couette, ça ne m'incite pas à changer la housse ou fourre trop souvent. Mais j'étends ma couette houssée ou fourrée quotidennement au soleil, heureusement si généreux chez moi. Au moins, ça l'aère aux ultra-violets, technique future à développer pour le néo-commerce.
Pourtant, chaque nuit, je m'écrie "maudite
couette !", que ce soit parce que je me réveille découvert
ou bien empêtré et suant.
Pour ceux qui, déçus, liront cette page en pensant avoir
trouvé une délicieuse évocation grivoise, je suis
désolé, je ne parlais que de la couette-objet, bien physique.
Pas de la couette morale immorale.