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Texte "Mon meilleur prof : Raymond Cognié" par Jac PETIT-JEAN-BORET

MON MEILLEUR PROF

Notre scolarité est souvent bien fade, à l'image des professeurs qui sont en général plus "fonctionnaires" qu'émulateurs passionés et passionants. J'ai heureusement pourtant eu droit à quelques exceptions, je vais vous faire un portrait succinct du prof qui m'a le plus marqué : Raymond Cognié.

Ce type était génial ! Passionné de maths, de physique et de langue française, puisqu'il était en outre champion national de mots croisés (concepteur et résolveur), il ne manquait jamais de glisser une grille dans le bulletin mensuel "Les cahiers de Condorcet".

Je l'ai eu deux ans, en seconde et en première. Moi qui étais plus que nul en maths, il me les a fait adorer. Et j'ai eu le premier prix deux ans de suite avec lui. Peut-être parce qu'il ne suivait pas le programme et déjantait sur des trucs de maths sup et maths spé. Pourtant, je ne faisais jamais les "exos" dont il était friand et que les fayots rendaient en liasses, et je préparais les cours suivants d'autres matières plutôt que de prendre des notes, mais je l'écoutais et il me captivait. Les compositions se passaient le jeudi, jour alors de repos, et consistaient en une suite de problèmes qu'il écrivait au tableau. Lorsque qu'un éléve - moi en l'occurence - avait tout résolu, il effaçait et rajoutait d'autres problèmes jusqu'à ce qu'on arrive au bout des quatre heures qu'il nous retenait... au premier trimestre. Car au second, c'était huit heures et au troisième douze heures, trois jeudis consécutifs. Tout-à-fait illégal, mais astucieux et très marginal, car nous avions droit à tous les manuels et pouvions parler entre nous. Un précurseur !

Il nous parlait parfois de sa conne d'épouse et de son imbécile de fils, parfois il nous décrivait des expériences de physique très pointue, tout en arpentant la classe en crachant et en pétant. La longueur de la cendre de sa gauloise au bout du fume-cigarette était sujet d'émerveillement de notre part. Sa blouse grise était éternelle et il aimait y plonger les mains dans ses poches en la remontant, ressemblant ainsi à un corbeau déplumé.

Je n'y ai pas eu droit, habitant en banlieue, j'étais trop loin, mais plusieurs condisciples m'ont raconté : il débarquait un soir à sept heures au domicile des meilleurs de ses classes, la mère voulait refermer la porte, croyant avoir affaire à un clochard, mais il insistait "Je suis le professeur de maths de votre fils, et je viens faire des maths avec lui !" La mère, un peu atterrée le laissait tout de même rentrer et il s'enfermait avec l'éléve et faisait des maths jusqu'à ce que la mère passe la tête par la porte de la chambre "Heu, il est déjà huit heures et demie et nous passons à table, voulez-vous dîner avec nous ?" Il répondait du tac au tac "C'est pas de refus, la soupe contre les maths !" Il monopolisait la conversation tout le repas avec cocasserie et repartait non sans avoir refait quelques "exos" avec le malheureux élève jusqu'à onze heures.

Je ne sais pourquoi, il a fini sa carrière à Condorcet comme surgé. C'était gâcher la marchandise mathématique que de le condamner à répertorier les colles et les bulletins de retard.



Je rajoute bien plus tard une photo que j'ai trouvée sur le net :
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